24/07/2025
Cybersecurity Insights
Collectivités territoriales et cybersécurité : répondre à la menace cyber par une stratégie de résilience territoriale
Longtemps perçue comme une affaire d’État ou de grandes entreprises, la cybersécurité s’impose désormais comme un levier structurant de gouvernance locale. Derrière les réseaux d’eau, les systèmes d’alerte ou les services sociaux, ce sont les infrastructures du quotidien qui deviennent des cibles. Avec la directive NIS2, un tournant s’amorce : les collectivités ne sont plus à la périphérie du risque, mais au cœur des obligations. Leur protection exige une approche ancrée dans leurs réalités spécifiques – contraintes budgétaires, complexité administrative, diversité des missions – pour construire une résilience qui ne soit pas plaquée d’en haut, mais adaptée aux dynamiques propres à chaque territoire.
La politique française de décentralisation renforce le rôle stratégique des collectivités territoriales
Le mouvement contemporain de décentralisation n’a de cesse depuis 40 ans de renforcer les compétences et responsabilités des collectivités territoriales françaises, au premier rang desquelles les Régions, les métropoles, les EPCI et les communes. Des réformes successives, comme la loi de 2015 portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la Républiques (NOTRe) ont participé au renforcement du rôle stratégique de ces collectivités, augmentant leur exposition au risque cyber.
Les 13 nouvelles Régions françaises ont ainsi gagné un poids politique et stratégique notable dans le pays. Leur périmètre d’actions élargi recouvre des dimensions particulièrement critiques : elles définissent et mettent en œuvre la stratégie de développement et d’attractivité économique du territoire (SRDEII), elles portent la compétence exclusive en matière d’aides aux entreprises, ou encore en matière d’aménagement du territoire, de transports, d’intermodalité, etc.
Ainsi, les collectivités territoriales sont bien plus que des échelons administratifs : elles sont le cœur battant de l’action publique, les garantes de services essentiels pour des millions de citoyens. De la gestion des lycées à l’organisation des transports, en passant par le soutien à l’innovation, leur champ d’action est vaste. À titre d’exemple, la Région Île-de-France concentre à elle seule plus de 5 milliards d’euros pour les lycées, pilote le réseau « Île-de-France Mobilités », et distribue de nombreuses subventions à des projets technologiques ou industriels.
En matière de numérique, plusieurs évolutions notables se sont imposées :
- La transformation numérique des collectivités territoriales s’est accélérée depuis le début des années 2020 (une tendance encouragée par l’Etat qui a mobilisé près de 100 millions d’Euros via le fonds Transformation Numérique des Territoires (TNT)[1], leur surface d’attaque s’élargit, les exposant de manière croissante à des risques cyber souvent sous-estimés.
- Le plan de lutte contre la fracture numérique a donné aux syndicats mixtes la possibilité de se voir déléguer la compétence d’un ou plusieurs réseaux de communications électroniques, accentuant l’important des enjeux de cybersécurité à l’échelon local.
- En parallèle, le processus de rationalisation de l’intercommunalité et le renforcement de l’intégration communautaire, avec une accélération de la « métropolisation » modifient profondément l’organisation et les processus au sein de nos territoires, avec un double impact, technique et organisationnel, sur le risque cyber.
Cette décentralisation s’accompagne de risques cyber accrus
Selon le Baromètre 2024 de Cybermalveillance.gouv.fr, une collectivité sur dix a été victime d’une cyberattaque au cours des douze derniers mois, avec des conséquences concrètes telles que l’interruption de services publics (37 %) ou le vol et la détérioration de données (24 %).[2]
Le Panorama de la cybermenace 2024 publié par l’ANSSI confirme cette réalité de terrain : une organisation sur cinq touchée par un rançongiciel cette année était une collectivité territoriale. Les principales causes identifiées sont le phishing (30 %), les malwares (12 %) et l’exploitation de failles non corrigées (10 %).[3]
Par ailleurs, selon une étude conjointe de Cybermalveillance.gouv.fr et HarfangLab, 53 % d’entre elles se sentent aujourd’hui exposées à la menace cyber, et 37 % déclarent avoir déjà été victimes d’une attaque.[4] Ces données soulignent que les collectivités territoriales, y compris de taille modeste, sont désormais des cibles privilégiées pour les cybercriminels.
Malgré une sensibilisation croissante, les collectivités territoriales demeurent vulnérables face aux cybermenaces. Attaques par rançongiciels, fuites de données sensibles, paralysie des systèmes d’information… lorsqu’un service public local est touché, c’est la continuité de l’action publique, la sécurité des données personnelles, mais aussi la confiance des citoyens, qui se fragilisent.
Face à ces difficultés, les collectivités territoriales sont particulièrement exposées en raison de la diversité de leurs missions. Voici quelques exemples d’expositions et d’atteintes propres aux collectivités territoriales :
Quelques exemples de cyber attaques récentes ayant ciblé des collectivités
2025 – Cyber attaque contre le département des Hauts-de Seine
En mai 2025, le département des Hauts-de-Seine subit une cyberattaque ayant entraîné la paralysie de ses systèmes d’information et de ses moyens de communication. Une intrusion avait déjà été constatée en 2023. Cette nouvelle attaque survient deux mois après celle ayant visé la Métropole du Grand Paris, qui s’était traduite par une fuite de données personnelles concernant environ 5 000 personnes, parmi lesquelles 250 agents, 208 élus et l’ensemble des partenaires de la collectivité territoriale.
2025 – Cyber attaque contre la commune de Thaon
En mars 2025, la commune de Thaon a été victime d’une cyberattaque de type ransomware ayant entraîné le blocage de ses systèmes informatiques et le chiffrement de nombreuses données.[19]
Aucune preuve de vol massif de données n’a été établie à ce jour mais certaines informations auraient néanmoins été divulguées sur un site de leak, suggérant une possible exfiltration partielle. Les attaquants réclamaient le versement d’une rançon en échange de la restitution de l’accès aux fichiers ou pour empêcher la diffusion des données potentiellement compromises.
Protéger ces structures n’est donc pas une option, mais un impératif, auquel les collectivités territoriales, leurs élus, et les acteurs cyber doivent répondre de manière coordonnée et adaptée à chaque territoire.
2024 – Cyber attaque contre une vingtaine de communes et métropoles françaises
Le 31 décembre 2024, plusieurs collectivités territoriales françaises ont été la cible d’une cyberattaque, revendiquée par le groupe de militants pro-russes NoName057(16).
Cette attaque par déni de service distribué (DDoS) a temporairement rendu indisponibles les sites internet d’une vingtaine de collectivités, parmi lesquelles Nantes, Angers, Poitiers, Bordeaux et Marseille.
Le mode opératoire consistait l’inondation d’un site précis de connexion jusqu’à ce qu’il plante. Bien qu’aucune fuite ni vol de données n’ait été constaté, cette opération a mis en lumière la vulnérabilité persistante des services numériques des collectivités face à des attaques perturbatrices, même sans intrusion dans les systèmes internes. [20]
Les collectivités territoriales, une cible de choix pour les attaquants ?
La fragilité des collectivités repose sur des contextes et des défis propres à ces organisations : comprendre ce contexte particulier est la première étape pour apporter les solutions et les réponses appropriées face au risque cyber.
- Un déficit de maturité et de culture cyber pour les plus petites d’entre elles
Près d’une commune sur cinq ignore son niveau d’exposition au risque numérique (Cybermalveillance.gouv.fr). Les élus et agents expriment un sentiment d’impuissance, lié à un manque de compétences (45 %), de ressources (38 %) et de temps (37 %). Ce déficit se traduit par des mesures de prévention lacunaires ou inadaptées…
- Des moyens limités et une pression budgétaire accrue
La majorité des collectivités, environ 73%, avaient en 2024 un budget informatique annuel inférieur à 5 000 €, et 77 % d’entre elles y consacraient moins de 2 000 € en cybersécurité.[21] Ce budget limité restreint l’accès à des prestataires spécialisées et fragilise la résilience des systèmes IT, tant techniquement que fonctionnellement.
Dans le contexte économique et budgétaire français, depuis la dissolution en 2024, les incertitudes politiques et les tensions sur les finances politiques ont renforcé la pression sur les budgets des collectivités territoriales : seules 10% des collectivités déclarent prévoir un report à la hausse de leur budget cyber. Cette hausse ne concernait que 5% des communes de moins de 1000 contre 23% des plus de 1000.[22]
- L’interconnexion territoriale et les risques d’effets de bord
Encouragés par les politiques nationales, les mouvements de concentration des services au sein de groupements de communes par exemple, accentuent le risque cyber : dans son rapport, l’ANSSI indique ainsi « qu’en raison d’interconnexions ou de regroupement des systèmes d’information, les compromissions observées peuvent également avoir des effets de bord sur d’autres collectivités territoriales ». Une approche territoriale globale et cohérente apparaît donc nécessaire pour adresser le risque cyber pesant sur nos collectivités.
- L’enjeu politique
Les collectivités territoriales évoluent dans un environnement marqué par des contraintes spécifiques : enjeu politique pour les élus en charge des collectivités face aux administrés qui les élisent, instabilité liée aux cycles des mandats et professionnalisation insuffisante des fonctions en lien avec la cybersécurité. Ces éléments introduisent des facteurs de risque et des contextes particuliers qui doivent être pris en compte pour accompagner ces acteurs.
- La commande publique : levier stratégique, contrainte opérationnelle
La commande publique constitue un levier majeur pour renforcer la cybersécurité des collectivités territoriales, mais elle est encore trop souvent perçue comme un frein. Les contraintes réglementaires, les délais de passation, la complexité des procédures ou le cloisonnement entre directions opérationnelles et services achats freinent parfois la mise en œuvre rapide de solutions cyber adaptées. Par ailleurs, la méconnaissance des offres disponibles ou des critères techniques spécifiques à la cybersécurité limite la capacité des collectivités à formuler des besoins précis et à évaluer les offres pertinentes.
Pour surmonter ces obstacles, les collectivités peuvent s’appuyer sur des centrales d’achats spécialisées telles que le RESAH, CANUT ou l’UGAP. En proposant des offres qualifiées et accessibles, elles permettent aux collectivités de contourner certaines lourdeurs administratives et d’accéder plus rapidement à des solutions adaptées.
L’usage de ces centrales constitue une réponse pragmatique aux contraintes internes des collectivités. Il permet d’optimiser les délais, de garantir la conformité juridique et de mutualiser les coûts. Encore sous-utilisées, ces plateformes doivent désormais être intégrées dans les stratégies territoriales de sécurisation des systèmes d’information.
Ainsi, les collectivités territoriales sont en première ligne face à la menace cyber, mais bien souvent sous-dotées pour y faire face.
L’arsenal de défense reste fragile, alors même que la surface d’attaque s’élargit.
Mise en perspective NIS2 : une responsabilité accrue des entités publiques
La directive NIS2 renforce les règles de cybersécurité pour les collectivités territoriales, bien que son application concrète reste à préciser au niveau national. En effet, la transposition de NIS2 dans la loi nationale est en cours d’examen par l’Assemblée nationale avec une échéance prévue pour septembre 2025. NIS2 inclut dorénavant dans son périmètre les collectivités territoriales et introduit donc de nouvelles obligations de cybersécurité pour celles-ci, avec un périmètre d’application élargi. Au total, près de 2 500 structures publiques locales, dont 1 489 entités essentielles et 992 entités importantes, sont concernées.[23]
Sont considérées comme entités essentielles :
- Les régions, départements et communes de plus de 30 000 habitants,
- Les métropoles, communautés urbaines et communautés d’agglomération comptant au moins une commune de plus de 30 000 habitants,
- Les syndicats intervenant dans des secteurs critiques (eau, énergie, transports…) et desservant plus de 30 000 habitants,
- Les SDIS, centres de gestion et organismes interdépartementaux ayant des missions critiques,
- Les opérateurs publics essentiels (régies d’eau, d’assainissement, d’énergie, de recharge électrique…).
Sont considérées comme entités importantes :
- Les communautés d’agglomération sans commune de plus de 30 000 habitants,
- Les communautés de communes et leurs EPA intervenant dans des secteurs critiques,
- Certains EPIC et régies autonomes opérant dans des secteurs sensibles ou dépassant 50 agents ou 10 M€ de bilan.
Même si une phase transitoire de trois ans est prévue avant l’entrée en vigueur des sanctions, les exigences sont claires :
- Mise en place d’une gestion des risques
- Partage d’informations cyber
- Déclaration des incidents[24]
Selon l’ANSSI, ainsi qu’une étude de l’IDATE sur l’implémentation de la directive NIS2, atteindre les exigences de NIS2 nécessitera presque un triplement des budgets cybersécurité, pour atteindre 10 à 12 % des dépenses IT.[25] Dans un contexte de menace élevée, cette évolution représente une opportunité de structurer durablement la gouvernance cyber locale.
Réactions imposées par NIS2
- Montée en compétences nécessaire : NIS2 impose une culture du risque numérique. Cela impose la sensibilisation des élus et le renforcement des équipes informatiques.
- CSIRT régionaux : Les CSIRT régionaux jouent un rôle central dans l’écosystème NIS2. Avec un appui aux collectivités territoriales dans la détection et la gestion des incidents, l’assistance technique en cas d’attaque ou encore la mise à disposition d’outils mutualisés de supervision ou d’alerte, ces centres sont des partenaires stratégiques pour les collectivités territoriales. Pour autant, la question de la pérennité de leur financement semble se poser : l’Etat avait soutenu le lancement des CSIRT régionaux, soit pour une période de fonctionnement de l’ordre de 12 à 18 mois, il revient désormais aux Régions d’assurer leur financement.
- Mutualisation : La réponse aux cyberattaques ne peut plus être isolée. Toutes les collectivités territoriales n’ont pas les ressources humaines et financières pour répondre aux exigences NIS2. Ainsi il est impératif de mutualiser les moyens cyber.
- Industrialisation et outillage : Faire face à la massification des attaques, dans un cadre budgétaire contraint , nécessite de construire des réponses combinant expertise (services) et outillage (via des solutions techniques de confiance). Cette approche “solution” doit permettre d’assurer une cyberdéfense en continu.
Etude de cas : la Métropole du Grand Paris
En Île-de-France, les enjeux se complexifient. Région la plus peuplée et la plus numérisée de France, elle concentre un écosystème dense et fortement interconnecté, où les conséquences d’une cyberattaque peuvent prendre une ampleur systémique. Une attaque peut perturber la vie de millions d’usagers. Cette densité de services publics critiques (hôpitaux, transports régionaux, établissements scolaires…) couplée à une forte circulation des données entre acteurs publics et privés, fait du territoire une cible prioritaire pour les cybercriminels.
En réponse à cette menace cyber, la Métropole du Grand Paris (MGP) a officiellement présenté CYBIAH à VivaTech 2025, illustrant l’importance d’une stratégie territoriale coordonnée, fondée sur un partenariat public-privé visant à accompagner 130 communes d’Île de France dans le renforcement de leur cybersécurité. La mise en œuvre technique est financée à hauteur de 50 %, avec un plafond fixé à 200 000 € par projet, via le Fonds « Innover dans la Ville ». Ce cas pratique met en lumière un modèle opérationnel : mutualiser les diagnostics et plans d’action à l’échelle territoriale, avec un financement partagé et un accompagnement expert. À ce jour, une première phase du programme a déjà séduit 12 communes en dix jours, et intègre dès maintenant un volet d’accompagnement à la directive NIS2, avec des contrôles d’environ 250 points de maturité. Dans ce contexte, il devient crucial de structurer une réponse collective, territorialisée, et fondée sur la coopération entre les acteurs publics et privés. C’est également tout l’enjeu du développement des CSIRT régionaux, qui visent à renforcer les capacités locales de détection, d’alerte et de réponse à incident.
Almond et Board of Cyber, acteurs clés du secteur, ont ainsi été retenus pour appuyer la mise en œuvre opérationnelle du programme.
Board of Cyber intervient dès le début avec son offre non intrusive permettant de cartographier de manière précise le niveau d’exposition cyber des 131 communes concernées. L’objectif est d’offrir une évaluation rapide et fiable ainsi qu’orienter les priorités d’action vers les collectivités territoriales vulnérables.
Le groupe Almond (Almond & Amossys) s’inscrit dans la continuité de cette logique territoriale en appuyant le développement des CSIRT régionaux. Déjà référencée auprès de plusieurs structures (CSIRT Grand Est, ARNia Bourgogne-Franche-Comté, Breizh Cyber), l’entreprise met son expertise au service des capacités locales de détection, d’alerte et de réponse à incident. La montée en puissance des CSIRT régionaux témoigne d’une cyber résilience ancrée dans les territoires et capable de répondre aux menaces cyber de manière plus efficace.
Pour conclure
Malgré une prise de conscience collective et progressive, les mêmes fragilités continuent de produire des incidents très similaires. Face à ce constat, les réponses doivent être à la hauteur des enjeux, telles que la mutualisation, la co-construction de stratégies territoriales avec les CSIRT régionaux ou encore la montée en compétences des agents.
La cybersécurité ne peut plus être considérée comme une contrainte technique pour ces collectivités territoriales car celle-ci est désormais une condition sine qua non du bon fonctionnement des services publics locaux, de la protection des citoyens et de la souveraineté numérique des territoires.
Antoine HAUTIN
Directeur Associé
Ana GOBILLON
Chargée d’Affaires Publiques
Notes de bas de page
[6] Les entreprises françaises, quelle exposition aux risques d’espionnage ? – Portail de l’IE
[9] Transports : Île-de-France Mobilités porte plainte après un piratage de données
[11] Un Ehpad victime d’une cyberattaque : 95 000 euros de rançon
[12] Baltimore government came under a potential security breach three months ago | Baltimore Brew
[14] France Travail piraté : les données de 340 000 demandeurs d’emploi ont été compromises
[15] FranceConnect indisponible à cause d’e-mails frauduleux imitant la notification de connexion
[16] Cybersécurité : les attaques informatiques contre des caméras de vidéosurveillance se multiplient
[17] Martyrisée par trois cyberattaques, la ville Annecy fait exploser son budget cybersécurité
[19] Cyberattaque à Thaon : aucune preuve pour l’heure d’un vol de données
[25] Ibid + Implementation-de-NIS2-en-France-Quels-enjeux-pour-la-France.pdf